iGEM 2021 : médaille d’or pour un pigment indigo nouvelle génération

En novembre 2021, l’équipe iGEM Paris Bettencourt présentait son projet Mini.Ink pour la compétition annuelle et internationale iGEM. Un projet associant durabilité, bio-sécurité et considérations sociales dans le domaine de la production d’enzymes. Entretien avec 2 membres de l’équipe.

Depuis quelques années déjà, une poignée d’étudiant.e.s d’Université de Paris – Learning Planet Institute, et d’autres horizons, participent au défi mondial proposé par la fondation International Genetically Engineered Machine : la iGEM Competition. Cette compétition encourage les étudiant.e.s à se constituer en équipe interdisciplinaire pour repousser les limites de la biologie synthétique et relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Chaque année, près de 6 000 participant.e.s à travers le monde proposent leurs projets, qu’ils et elles mènent aussi bien au sein du laboratoire qu’en dehors : communication scientifique, levée de fonds, propositions de protocoles et management d’équipe.

Screenshot of Mini.Ink website - Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière
Screenshot of Mini.Ink website – Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière

Cette année 2021, le projet de l’équipe iGEM Paris Bettencourt, Mini.Ink, a permis de mettre au point une méthode pour la production d’un nouveau type de pigment indigo afin de teindre les textiles en toute sécurité, sans purification ni ajout de produits chimiques, grâce à des mini-cellules bactériennes. De taille nanométrique, ces dernières sont dépourvues de chromosomes : une technique visant spécifiquement à garantir la biosécurité dans les applications de biologie synthétique. Ces travaux, en partie réalisés au Learning Planet Institute, comprenaient notamment le prototype fonctionnel d’une machine permettant de produire des mini-cellules, le hardware. Autant de résultats remarquables qui ont permis à l’équipe iGEM Paris Bettencourt de recevoir une médaille d’or (voir l’annonce en vidéo ici), assortie d’un prix pour le Best Manufacturing project. Elle a également été nominée pour des prix dans trois autres catégories : Best Wiki, Best Human Practices et Best Hardware.


Entretien avec Juliette Bellengier et Clément Galan, membre de l’équipe iGEM Paris  Bettencourt.

Juliette et Clément suivent tous les deux le parcours Life Sciences du Master AIRE. Avant d’entamer son master centré sur les sciences du vivant, le parcours de Clément en licence était tourné vers les mathématiques. Juliette quant à elle était déjà une habituée du CRI, devenu  Learning Planet Institute, puisqu’elle est diplômée de la Licence Frontières du Vivant ; un parcours déjà très interdisciplinaire mêlant mathématiques, physique, chimie, informatique et biologie.

Clément Galan et Juliette Bellanger, membres de l'équipe iGEM Paris Bettencourt 2021
Clément Galan et Juliette Bellanger, membres de l’équipe iGEM Paris Bettencourt 2021

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur la Compétition iGEM ?

[Clément] C’est une compétition internationale de bio-synthétique qui regroupe, selon les catégories, des étudiants en master et licence et au lycée, partout à travers le monde, pour travailler sur des projets pendant un an. A la fin, il y a un énorme rassemblement [le Jamboree] où chacun présente son projet, et où on peut se faire beaucoup de contacts à travers cette grande communauté.

[Juliette] Il y a aussi énormément de catégories différentes, que ce soit pour les projets ou les catégories de prix ; il y a énormément de possibilités pour la biologie de synthèse.

Juliette et Clément se sont beaucoup investis dans le projet. Un engagement très complet et aux missions diverses : travail en laboratoire, modélisation, mais aussi communication et coordination d’équipe, création du site web de présentation du projet, partenariats avec les autres équipes et organisation du Jamboree [weekend de rencontres des équipes pour l’annonce des résultats de la compétition iGEM].

Comment avez-vous constitué votre équipe ?

[Clément] Ça demande beaucoup de motivation et d’investissement comme projet. Dans la première phase du projet, on était plus d’une quinzaine, et au fur et à mesure, un noyau dur d’une dizaine de membres est resté soudé. Et puis en fonction de ce que l’on faisait, on avait besoin de différentes expertises, on est donc allés voir différentes personnes. S’il y a UN truc que je n’avais pas compris avant de commencer le projet, c’est à quel point ça peut être compliqué de s’organiser en équipe ! Et alors là… (…) On a passé des heures à réorganiser nos notes.

[Juliette] On avait aussi tellement de recherches et de parties différentes dans notre projet qu’on avait presque chacun notre propre partie du projet. L’enjeu, ça a été de coordonner et de rassembler toutes ces informations pour que ça forme un tout cohérent, et accessible à tout le monde. Et c’est notamment ce qui a donné le site web. Ça a demandé du travail, mais le résultat en vaut la peine !

Tout au long du projet, les étudiant.e.s membres de l’équipe sont laissés en autonomie. Gestion du projet, choix et adaptation des protocoles en laboratoire, définition du matériel et des délais, etc… L’équipe bénéficie toutefois de l’encadrement de mentors.

Quel a été le rôle de vos mentors : Alexis Casas, Aya Gomaa, Edwin Wintermute et Ariel  Lindner [co-fondateur et directeur de la recherche au Learning Planet Institute] ?

[Clément] Ils nous ont posé un cadre, nous ont aidés à ne pas dépasser les limites.

[Juliette] Ils ont aussi cette expérience de la compétition et d’iGEM qui leur permet de nous donner des pistes. Par exemple, au départ, on avait plein plein plein d’idées. Ils ont été plus présents à ce moment-là pour évaluer avec nous la faisabilité des projets dont nous avions l’idée. Le projet iGEM doit être développé en 9 mois, dont 4 mois de labo, ce qui est très très court. Ils nous ont aussi aidé à contacter les scientifiques (auteurs de protocoles que nous voulions adapter).

[Clément] Mais à aucun moment ils n’ont pris de décision.

[Juliette] Ils nous ont accompagnés, mais ils nous ont toujours laissé faire. (…) On a développé une autonomie, par exemple en laboratoire, en recherche, qu’on n’avait jamais eu, notamment sur l’intensité et la durée. Ça nous a entrainé sur pleins d’aspects : labo, modélisation, code du site web,…

[Clément]… la communication…

[Juliette] … et la collaboration entre équipes ! C’est un des gros critères d’iGEM : faire collaborer les équipes entre elles.

D’où vient l’idée de travailler avec les mini-cellules ? Comment est né ce projet ?

[Juliette] Pendant le processus de brainstorming, on avait des idées très diverses : des biosenseurs aux biofilms. Et quelqu’un nous a parlé de ces organismes. On a commencé à lire des publications scientifiques sur ces mini-cellules. Elles servent notamment dans les “delivery system”, pour délivrer des médicaments sur certains endroits du corps par exemple. Les mini cellules sont beaucoup utilisées dans ce domaine parce qu’elles ont la particularité d’être très petites et capables d’aller dans des endroits inaccessibles pour des bactéries. Et la majorité des articles sur les mini-cellules traitaient de ce sujet. En se plongeant là-dedans, on s’est rendu compte qu’on pouvait aussi utiliser ces cellules pour autre chose.

[Clément] On a pris cette idée, un peu tombée du chapeau, pour l’appliquer à nos valeurs – travailler sur du local, dans le respect de l’environnement – et à un projet visuel pour pouvoir montrer aux gens et qu’ils comprennent rapidement. C’est pour ça qu’on s’est aussi tourné vers les pigments.

[Juliette] Derrière, il y avait aussi l’envie de montrer les autres applications de ces mini-cellules aux  enzymes, pas seulement aux pigments (qui servent notre projet pour le faire comprendre), et de s’inscrire dans les conséquences et les réalisations du temps de covid, notamment la nécessité de relocaliser [les productions].

[Clément] Une autre utilisation de notre projet, c’est de l’appliquer à une enzyme qui s’appelle la taq polymérase qui est l’enzyme utilisée dans les tests PCR. On pourrait produire cette enzyme de  manière plus locale et plus simple et continuer de s’en servir dans les tests PCR.

[Juliette] Et surtout, avec le hardware que l’on a créé, on pourrait assurer que tout le système soit  sécurisé. Et c’est une force. Ça évite tout ce qui est erreur humaine, possible contamination, ou possibles risques biologiques ou chimiques.

[Clément] On a aussi veillé à limiter toutes les étapes de purification qui utilisent beaucoup de produits chimiques et de temps de manipulation. Avec cette petite machine, le hardware, tout est automatisé, simplifié, pour arriver à un résultat qui n’est certes pas pur, mais qui fait ce qu’on lui demande.

Mais finalement, c’est quoi, des mini-cellules ?

[Juliette] Les mini-cellules sont des organismes découverts il y a plusieurs dizaines d’années, mais qui n’ont pas beaucoup été caractérisés. On n’a pas beaucoup d’informations sur leur taille, leur temps de vie, etc.

[Clément] “Caractériser” [en recherche], c’est vraiment “définir” au sens scientifique. Essayer de décrire au maximum ce sur quoi on travaille.

[Juliette] Il y avait aussi une partie intéressante sur ces mini-cellules, qui n’avait pas été abordée par les papiers et qu’on pourra peut-être aborder [par la suite] : c’est l’aspect éthique. Les mini cellules ne sont pas considérées comme des êtres-vivants parce qu’elles ne grandissent pas.

[Clément] Et selon la définition actuelle d’un organisme vivant, il faut qu’il puisse grossir et se répliquer. Ce qui n’est pas le cas des mini-cellules. MAIS elles sont capables de produire des protéines et elles sont métaboliquement actives au même titre que toutes les cellules que nous avons nous dans notre organisme. Une mini-cellule fait globalement tout ce que la bactérie est capable de faire. On s’est dit que c’était tellement simple, et tellement peu étudié donc avec beaucoup de potentiel !

[Juliette] Le fait qu’elles ne se divisent pas et qu’elles ne grandissent pas était un bon point pour l’aspect sécurité, d’un point de vue biologique. On a aussi exploré comment on peut éthiquement utiliser ces organismes et comment on peut les qualifier. Et ça c’est vraiment quelque chose de  nouveau parce qu’on n’avait pas trouvé ces aspects-là dans les publications.

Screenshot of Mini.Ink website - Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière
Screenshot of Mini.Ink website – Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière

L’histoire du projet telle que décrite sur votre site est particulièrement parlante. C’est une histoire vraie ?

[Clément] C’est un peu romancé… mais le cœur de l’histoire est vrai, oui ! On voulait que notre projet soit compréhensible, qu’on puisse le communiquer et le montrer. C’était un des principaux objectifs.

Screenshot of Mini.Ink website - Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière
Screenshot of Mini.Ink website – Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière

[Juliette] On voulait que tout le monde puisse voir le potentiel du projet. Les modes de production industriels ont des conséquences bien réelles sur l’environnement direct de ces usines, lieux de production. Et cette histoire, basée sur le vécu de Daria [également membre de l’équipe ndlr], c’était une manière géniale de communiquer sur le sujet. En partant de l’expérience de Daria avec l’industrie des pigments qui est très polluante, à cette échelle en tout cas, on voulait aussi extrapoler, montrer que c’est un exemple mais que toute production à grande échelle a un impact non-négligeable sur l’environnement.

[Clément] La nécessité de communiquer autour des biotechnologies, elle vient aussi du fait que la plupart des gens sont réticents au sujet, ils en ont un peu peur. Et nous on voulait vraiment amener un regard plus positif sur les biotechnologies : on peut faire beaucoup de choses avec elles, on peut ne pas en avoir peur.

Screenshot of Mini.Ink website - Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière
Screenshot of Mini.Ink website – Web development: Clément Galan and Juliette Bellengier / Web design: Etienne Lemière

Grâce à l’immense travail fourni par chaque membre de l’équipe, tant en recherche qu’en développement informatique et en collaboration, l’équipe iGEM Paris Bettencourt s’est distinguée dans plusieurs domaines de la compétition.

À la fin de cette compétition scientifique, vous avez été nominés pour 4 prix, dont un que vous avez remporté.

[à l’unisson] OUI !

[Clément] A la fin du projet, on a postulé à plusieurs catégories de prix. Dans un premier temps, l’iGEM Competition a fait une annonce des résultats préliminaires qui communiquaient les nominations pour ces prix. Nous, on a eu la chance d’être nominés pour QUATRE catégories ! Déjà à ce stade, on était super contents !

[Juliette] Et vient ensuite le moment de la remise des prix.

[Clément] Premier prix annoncé : “Best Manufacturing Project »…

[Juliette] … une des catégories pour lesquelles on avait été nominés…

[Clément] … et là, on voit notre nom ! Tout le monde s’est mis à crier !

[Juliette] A côté, on a eu 3 autres nominations. Best Wiki (le site web), qui était déjà une belle nomination parce qu’au niveau réalisation, structure, contenu, c’était quelque chose qui avait impressionné les juges. Il y avait aussi Best Integrated Human Practices : c’est un thème central dans iGEM : comment notre projet va influencer et comment le monde a influencé et va influencer  notre projet…

[Clément] … c’est intégrer un projet dans la communauté par le biais de la communication et les interactions avec les différents acteurs.

[Juliette] Et le dernier prix, c’était le Hardware.

[Clément] Notre hardware, c’est notre machine. C’est le bioréacteur que notre équipe a construit. Elle a pas mal impressionné les juges de par sa simplicité, et par ce qu’on a réussi à accomplir en si peu de temps.

[Juliette] C’est aussi son adaptabilité qui a plu au jury, je pense. Comme l’ensemble du projet, ce hardware peut être appliqué dans d’autres domaines. Et on a prouvé qu’il marche, qu’il est fonctionnel ; ça c’est un grand pas dans la production d’un hardware. Notre hardware a plusieurs fonctions : cultiver nos bactéries, produire les enzymes d’intérêt. C’était notre contenant avec lequel on pouvait à la fois contrôler les paramètres qui nous intéressaient (par exemple la  température) et le laisser en autonomie.

Vous avez également décroché une médaille d’or. Qu’est-ce qu’elle représente ?

[Juliette] Il y avait aussi des médailles auxquelles chaque équipe pouvait prétendre : bronze, argent et or. Ces médailles sont attribuées aux équipes quand elles ont rempli les critères fixés par iGEM pour tel ou tel niveau de médaille. Dans les critères de la médaille d’or, il y a la collaboration, le succès dans la bio-ingénierie, la modélisation, les “human practices”, c’est très interdisciplinaire  !

[Clément] Et on a eu la médaille d’or ! Plus le projet avançait et se concrétisait, plus on se disait qu’on pouvait aller chercher cette médaille d’or.

Traditionnellement, la remise des prix et des médailles fait l’objet d’un événement particulier : le Jamboree. Notre entretien se déroule d’ailleurs quelques jours plus tard.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce “Jamboree” ?

[Juliette] Cette année, notre équipe, l’équipe iGEM Paris Bettencourt, a proposé d’accueillir une  partie des étudiants de différentes équipes iGEM – surtout des équipes européennes, même s’il y  avait aussi une équipe d’Égypte ! Donc on a rassemblé 120 étudiants au CRI [devenu le Learning Planet Institute] pendant un weekend, pendant lequel on a eu des conférences de chercheurs du  collaboratoire du CRI [devenu le Learning Planet Institute], et on a pu découvrir les projets des  autres équipes présentes. C’était un beau moment entre nous pour finir cette compétition en  beauté !

[Juliette] Pour l’organisation de l’événement, on savait qu’on serait accompagnés, et les locaux se prêtent bien à ce genre d’événements… alors on s’est dit que quittes à être impliqués dans la  compétition, on allait l’être jusqu’au bout ! Et ça s’est plutôt bien passé niveau logistique, d’être à la fois en présentiel et connectés au reste des équipes à travers le monde.

[Clément] On a eu beaucoup, beaucoup de remerciements ! La joie des gens qui ont participé… ça valait vraiment le coup.

Que retiendrez-vous de cette expérience ?

[Juliette] C’était 9 mois très très enrichissants sur plein d’aspects. La compétition iGEM est très  interdisciplinaire. Le travail d’équipe, la [l’équipe] construire, monter le projet, avoir les financements, communiquer son projet, jusqu’à la réalisation finale… C’était un long processus et  on a vraiment gagné à chacune des étapes. Et la concrétisation finale avec le rassemblement de plusieurs équipes européennes au CRI [devenu le Learning Planet Institute], c’est vraiment là où  on a réalisé tout ce qui avait été accompli jusque-là pour tout le monde.

[Clément] Je vois deux aspects fondamentaux effectivement : la communication et la collaboration en équipe et avec les gens qui gravitaient autour de notre projet, et les compétences et le travail  scientifique.

La prochaine équipe iGEM Paris Bettencourt est en cours de constitution, pour une nouvelle compétition, un nouveau projet, de nouvelles réalisations – contactez-les igem2022@cri-paris.org ! Juliette et Clément sont bien décidés à transmettre leur expérience.

Quels sont vos premiers conseils pour les prochain.e.s compétiteurs et compétitrices de la compétition iGEM 2022 ?

[Clément] Savoir où on va et prendre son temps. C’est vraiment un projet qui demande beaucoup d’investissement. A la fin du projet, on se rend compte que ça valait le coup mais pendant le projet, c’est un peu les montagnes russes. Il faut vraiment prendre son temps, discuter entre vous, beaucoup travailler sur l’ambiance d’équipe qui permet d’aller plus loin. Sinon, ça ne marche pas.

[Juliette] La collaboration et la communication au sein de l’équipe. Ce sont les premiers points du début du projet, c’est fondamental pour chercher d’autres personnes, pour faire les premières réunions, les premiers rapports.


Merci à Juliette et Clément pour ce partage de leur expérience !

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